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Page:Sand - La Mare au Diable.djvu/45

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gagne quelque chose. Ça me fait assez de peine et à elle aussi, la pauvre âme ! Nous n’avons pas pu nous décider à nous quitter à l’époque de la Saint-Jean ; mais voilà que la Saint-Martin arrive, et qu’elle trouve une bonne place de bergère dans les fermes des Ormeaux. Le fermier passait l’autre jour par ici en revenant de la foire. Il vit ma petite Marie qui gardait ses trois moutons sur le communal. « Vous n’êtes guère occupée, ma petite fille, qu’il lui dit ; et trois moutons pour une pastour, ce n’est guère. Voulez-vous en garder cent ? je vous emmène. La bergère de chez nous est tombée malade, elle retourne chez ses parents, et si vous voulez être chez nous avant huit jours, vous aurez cinquante francs pour le reste de l’année jusqu’à la Saint-Jean. » L’enfant a refusé mais elle n’a pu se défendre d’y songer et de me le dire lorsqu’en rentrant le soir elle m’a vue triste et embarrassée de passer l’hiver, qui va être rude et long, puisqu’on a vu, cette année, les grues et les oies sauvages traverser les airs un grand mois plus tôt que de coutume. Nous avons pleuré toutes deux ; mais enfin le courage est venu. Nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas rester ensemble, puisqu’il y a à peine de quoi faire vivre une seule personne sur notre lopin de terre ; et puisque Marie est en âge (la voilà qui prend seize ans), il faut bien qu’elle fasse comme les autres, qu’elle gagne son pain et qu’elle aide sa pauvre mère.