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la ville noire.

chesse vous prend ? Voilà l’ambition de l’ouvrier d’ici.

— Eh bien ! pourquoi donc pas ? reprit Gaucher. Un peu de raison au bout de la tâche, et l’ouvrier peut devenir un gros bourgeois. Regarde là, au-dessus de nos têtes, sur la terrasse de la montagne, ces jolies rues à escaliers, ces promenades d’où l’on voit cinquante lieues d’horizon, ces murailles blanches et roses, ces jardins en fleurs, treillagés de vert ; tout cela est sorti du gouffre où nous voici attelés du matin au soir, qui à une roue et à une pince, qui à une barre de fer et à un marteau. Tous ces gens riches qui, de là-haut, nous regardent suer, en lisant leurs journaux ou en taillant leurs rosiers, sont, ou d’anciens camarades, ou les enfants d’anciens maîtres ouvriers, qui ont bien gagné ce qu’ils ont, et qui ne méprisent pas nos figures barbouillées et nos tabliers de cuir. Nous pouvons leur porter envie sans les haïr, puisqu’il dépend de nous, ou du moins de quelques-uns de nous, de monter où ils sont montés. Regarde ! il n’y a pas loin ! Deux ou trois cents mètres de rocher entre l’enfer où nous