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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/27

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taire sur le fameux comte de Saint-Germain ; chacun raconta son anecdote. Pœlnitz prétendit l’avoir vu en France, il y avait vingt ans. Et je l’ai revu ce matin, ajouta-t-il, aussi peu vieilli que si je l’avais quitté d’hier. Je me souviens qu’un soir, en France, entendant parler de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il s’écria, de la façon la plus plaisante et avec un sérieux incroyable : « Je lui avais bien dit qu’il finirait par se faire un mauvais parti chez ces méchants Juifs. Je lui ai même prédit à peu près tout ce qui lui est arrivé ; mais il ne m’écoutait pas : son zèle lui faisait mépriser tous les dangers. Aussi sa fin tragique m’a fait une peine dont je ne me consolerai jamais, et je n’y puis songer sans répandre des larmes. » En disant cela, ce diable de comte pleurait tout de bon ; et peu s’en fallait qu’il ne nous fît pleurer aussi.

« Vous êtes un si bon chrétien, dit le roi, que cela ne m’étonne point de vous. »

Pœlnitz avait changé trois ou quatre fois de religion, du matin au soir, pour postuler des bénéfices et des places dont le roi l’avait leurré par forme de plaisanterie.

« Votre anecdote traîne partout, dit d’Argens au baron, et ce n’est qu’une facétie. J’en ai entendu de meilleures ; et ce qui rend, à mes yeux, ce comte de Saint-Germain un personnage intéressant et remarquable, c’est la quantité d’appréciations tout à fait neuves et ingénieuses au moyen desquelles il explique des événements restés à l’état de problèmes fort obscurs dans l’histoire. Sur quelque sujet et sur quelque époque qu’on l’interroge, on est surpris, dit-on, de le voir connaître ou de lui entendre inventer une foule de choses vraisemblables, intéressantes, et propres à jeter un nouveau jour sur les faits les plus mystérieux.

— S’il dit des choses vraisemblables, observa Alga-