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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/31

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— La mienne n’a que deux mots. Le jour où Votre Majesté pantagruélique ordonna au sublime Cagliostro de remballer ses alambics, ses spectres et ses démons, il est de notoriété publique qu’il sortit en personne dans sa voiture, à midi sonnant, par toutes les portes de Berlin à la fois. Oh ! cela est attesté par plus de vingt mille personnes. Les gardiens de toutes les portes l’ont vu, avec le même chapeau, la même perruque, la même voiture, le même bagage, le même attelage ; et jamais vous ne leur ôterez de l’esprit qu’il y a eu, ce jour-là, cinq ou six Cagliostro sur pied. »

Tout le monde trouva l’histoire plaisante. Frédéric seul n’en rit pas. Il prenait au sérieux les progrès de sa chère raison, et la superstition, qui donnait tant d’esprit et de gaieté à Voltaire, ne lui causait qu’indignation et dépit.

« Voilà le peuple, s’écria-t-il en haussant les épaules ; ah ! Voltaire, voilà le peuple ! et cela dans le temps que vous vivez, et que vous secouez sur le monde la vive lumière de votre flambeau ! On vous a banni, persécuté, combattu de toutes manières, et Cagliostro n’a qu’à se montrer pour fasciner des populations ! Peu s’en faut qu’on ne le porte en triomphe !

— Savez-vous bien, dit La Mettrie, que vos plus grandes dames croient à Cagliostro tout autant que les bonnes femmes des carrefours ? apprenez que c’est d’une des plus belles de votre cour que je tiens cette aventure.

— Je parie que c’est de madame de Kleist ! dit le roi.

C’est toi qui l’as nommée ! répondit La Mettrie en déclamant.

— Le voilà qui tutoie le roi, à présent ! grommela Quintus Icilius, qui était rentré depuis quelques instants.

— Cette bonne de Kleist est folle, reprit Frédéric ; c’est la plus intrépide visionnaire, la plus engouée d’horoscopes et de sortilèges… Elle a besoin d’une