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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/317

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investi d’une puissance magique, peut-être diabolique, mais à coup sûr irrésistible. Elle en avait peur, et pourtant elle désirait n’en être pas si brusquement et à jamais séparée.

La voiture se mit au pas, et Karl vint ouvrir la jalousie. « Si vous voulez marcher un peu, signora, lui dit-il, monsieur le chevalier vous y engage. La montée est rude pour les chevaux, et nous sommes en plein bois ; il paraît qu’il n’y a pas de danger. »

Consuelo s’appuya sur l’épaule de Karl, et sauta sur le sable sans lui donner le temps de baisser le marchepied. Elle espérait voir son compagnon de voyage, son amant improvisé. Elle le vit en effet, mais à trente pas devant elle, le dos tourné par conséquent, et toujours drapé de ce vaste manteau gris qu’il paraissait décidé à garder le jour comme la nuit. Sa démarche et le peu qu’on apercevait de sa chevelure et de sa chaussure annonçaient une grande distinction, et l’élégance d’un homme soigneux de rehausser par une toilette galante, comme on disait alors, les avantages de sa personne. La poignée de son épée, recevant les rayons du soleil levant, brillait à son flanc comme une étoile, et le parfum de la poudre que les gens de bon ton choisissaient alors avec la plus grande recherche laissait derrière lui, dans l’atmosphère du matin, la trace embaumée d’un homme comme il faut.

Hélas ! mon Dieu, pensa Consuelo, c’est peut-être quelque fat, quelque seigneur de contrebande, ou quelque noble orgueilleux. Quel qu’il soit, il me tourne le dos ce matin, et il a bien raison !

« Pourquoi l’appelles-tu le chevalier ? demanda-t-elle à Karl en continuant tout haut ses réflexions.

— C’est parce que je l’entends appeler ainsi par les postillons.