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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/51

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notre chère princesse dans un négligé encore plus simple. Venez ! »

La Porporina mit le rouleau mystérieux dans sa poche, chargea de partitions la voiture de madame de Kleist, et la suivit résolument, en se disant : Pour un homme qui a exposé sa vie pour moi, je puis bien m’exposer à faire antichambre pour rien chez une petite princesse.

Introduite dans un cabinet de toilette, elle y resta cinq minutes pendant lesquelles l’abbesse et sa confidente échangèrent ce peu de mots dans la pièce voisine :

« Madame, je vous l’amène ; elle est là.

— Déjà ? ô admirable ambassadrice ! Comment faut-il la recevoir ? comment est-elle ?

— Réservée, prudente ou niaise, profondément dissimulée ou admirablement bête.

— Oh ! nous verrons bien ! s’écria la princesse, dont les yeux brillèrent du feu d’un esprit exercé à la pénétration et à la méfiance. Qu’elle entre ! »

Pendant cette courte station dans le cabinet, la Porporina avait observé avec surprise le plus étrange attirail qui ait jamais décoré le sanctuaire des atours d’une belle princesse : sphères, compas, astrolabes, cartes astrologiques, bocaux remplis de mixtures sans nom, têtes de mort, enfin tout le matériel de la sorcellerie. Mon ami ne se trompe pas, pensa-t-elle, et le public est bien informé des secrets de la sœur du roi. Il ne me paraît même pas qu’elle en fasse mystère, puisqu’on me laisse apercevoir ces objets bizarres. Allons, du courage.

L’abbesse de Quedlimburg était alors âgée de vingt-huit à trente ans. Elle avait été jolie comme un ange ; elle l’était encore le soir aux lumières et à distance ; mais en la voyant de près, au grand jour, la Porporina s’étonna de la trouver flétrie et couperosée. Ses yeux bleus, qui avaient été les plus beaux du monde, désormais cernés