Aller au contenu

Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’éloquence, pour la ranimer ou l’attendrir. Elle fut longtemps sans me comprendre, et puis tout à coup je ne sais laquelle de mes paroles entra dans son cœur et offrit un sens à son esprit ; elle m’écouta avec étonnement, chercha mes mains dans l’obscurité et me dit d’une voix déchirante :

— Est-ce vous qui êtes là ? est-ce vous qui me parlez ? est-ce vous qui m’aimez ? Non, ce ne peut être vous ! personne ne m’aime à présent ; personne ne m’aimera plus ! Ni amitié ni amour ! il n’y a plus rien pour moi.

— Jurez-moi de surmonter cette douleur, lui dis-je ; ayez la volonté de vivre, et ma vie est à vous !

— C’est impossible, reprit-elle ; vous ne pouvez pas être mon frère !

Et, dans un de ces paroxysmes d’exaltation où il n’y a plus ni fierté ni réserve, elle s’écria en me repoussant :

— Non ! vous ne pouvez rien être pour moi, puisque je vous aime d’amour, et que vous étiez décidé à me laisser mourir plutôt que de m’aimer de même. Votre amitié, votre pitié, je n’en veux pas, je vous l’ai dit. J’en suis humiliée et offensée ; il faut que je vous adore ou que je vous déteste. Je suis comme cela, vous ne me changerez pas ; j’ai renoncé à vous, mon cœur s’est vengé en vous maudissant. Je n’aime plus rien, je ne veux plus aimer personne. J’ai de l’argent ; je suis riche, très-riche, à présent que je n’ai plus de frère et que je ne suis plus obligée de me ruiner pour