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Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/212

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pas seulement effleuré la compagne de Tonino, et, cela, à vingt-cinq ans tout comme à cinquante. Je pouvais regarder dans mon passé ardent et viril, je n’y trouvais pas une souillure. Je n’avais pas à rougir d’une heure où l’animalité des sens l’avait emporté en moi sur la probité de l’âme.

J’étais donc tout simplement un honnête homme. Il n’y avait pas de quoi s’enorgueillir sans doute, mais il y avait de quoi se consoler et sentir en soi une force patiente et une sorte de joie austère. Ces malheureux qui travaillaient à m’avilir avaient entrepris l’impossible. J’étais mon juge et le leur. Ils m’avaient lâchement volé mon repos, mon bonheur, ma poésie, ma croyance en eux, tout ce qui avait servi de base à ma nouvelle existence. Il ne leur restait plus qu’à m’assassiner. Pourquoi non ? Se défaire de la Vanina et de moi eût été logique ; mais m’ôter une parcelle de ma valeur morale pour s’en parer aux yeux l’un de l’autre, voilà ce qu’ils ne pouvaient pas !

Tonino parlait comme je rentrais. Il me fit, comme de coutume, des adieux enjoués et tendres.

— Eh bien, lui dit Félicie, tu ne l’embrasses pas, ton père ?

Il m’appelait son père ! il m’embrassa. Je pensai à la légende du baiser de Judas. Je me laissai embrasser.

Je m’absentai le lendemain. Sous prétexte de nouvelles observations sur le cours des eaux de neige,