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Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/307

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allait en vivre encore, puisqu’elle trahissait le souvenir de l’amant sans aucun trouble, pour demander à l’époux l’enivrement de même nature, sauf à comparer après quel vin était le plus capiteux et provoquait le mieux l’athéisme du cœur, dernière ressource d’une mauvaise conscience et d’un instinct perverti.

J’eus beau m’efforcer de l’excuser, je sentis qu’elle me devenait, non pas odieuse, car la haine est un amour encore, mais étrangère sous un certain aspect.

Cette femme n’était plus mienne par la chair. Sa beauté ne me parlait plus. J’eusse eu le droit de lui chercher un autre époux, que je l’eusse cherché avec sollicitude et bonté, comme on le cherche pour une parente, pour une fille, sans concevoir une jalousie possible. L’amour qu’elle venait d’obtenir de moi me parut un égarement bestial dont je fus honteux, irrité contre moi-même. Si j’eusse été dominé par des instincts violents et impétueux, il devenait évident pour moi que je l’eusse étranglée après la crise.

C’était donc à un paroxysme de férocité, c’était donc au meurtre que me conduisait la tentative du pardon complet ! Le meurtre révoltait tout mon être, à ce point que je me sentis défaillir ; mais tout aussitôt une réaction terrible me fit tourner ma rage contre moi-même. Je déchirai ma poitrine avec mes ongles, j’avais besoin de haïr et de torturer quelqu’un, je me détestais et je me prenais moi-même pour