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Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/334

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» Oh ! mon Dieu, mourir déjà, moi jeune encore et si forte, si remplie de volonté ! Je ne peux pas m’imaginer ce que c’est que d’être mort. Je me jette dans l’inconnu comme quelqu’un qui se précipiterait dans les ténèbres, sans savoir s’il tombe dans un abîme ou dans le vide. Peut-être ne tombe-t-on pas du tout ! On se retrouve peut-être debout et actif, devant quelque tâche nouvelle, avec d’autres êtres, d’autres souffrances, d’autres idées. Ah ! pourvu qu’on oublie cette vie que je vais quitter ! Je n’ai pas d’autre désir, oublier ! Ne plus savoir que je suis souillée et méprisée ! À ce prix, j’accepterais avec joie les plus atroces tortures et même les feux et les épouvantes de l’enfer.

» Ah ! je ne sais pas s’il y a un Dieu, mais je sens qu’il y a une justice, car j’ai été bien punie. Après avoir été si heureuse, si aimée, si honorée, se voir seule et dédaignée, et sentir qu’on ne peut plus rien pour reconquérir l’estime !

» Il n’y pouvait rien non plus, lui ! il voulait m’aimer, il y avait entre lui et moi quelque chose qui le repoussait. Il me l’avait bien prédit que, le jour où il ne m’estimerait plus, je lui deviendrais étrangère et indifférente. Tout cela, c’est ma faute. J’aurais dû t’épouser et te tromper pour lui. Tu me l’aurais pardonné, toi qui n’as pas de cœur et que l’argent console de tout. Voilà ce que je pense de toi, voilà mon adieu. Il le lira, lui à qui je n’ose plus parler. Il crachera sur ton nom et sur mon héritage, qui salirait ses mains pures ; mais il ne crachera pas sur ma