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Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/97

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Elle me reçut avec la même politesse sans charme que les autres fois, me servit à déjeuner avec les mêmes recherches, et se mêla aussi peu à la conversation que de coutume ; seulement, elle s’abstint de troubler celle des autres par les réflexions mordantes qu’elle jetait d’ordinaire en passant, et, quand elle s’assit au dessert, elle se laissa taquiner par son frère sans lui rendre la pareille.

— Savez-vous, me dit-il devant elle, qu’elle est bien changée, notre bourgeoise ? Je ne sais quelle bonne morale vous lui avez faite, un jour qu’elle est montée à la Quille ; mais, depuis ce temps-là, elle ne nous a pas contredits ni grondés une seule fois : c’est affaire à vous de sermonner les femmes !

Je répondis que je ne m’étais pas permis…

— Si fait, interrompit Tonino naïvement ; elle a dit que vous l’aviez grondée.

— Et de quoi te mêles-tu, toi ? reprit Jean de sa grosse voix retentissante ; ce n’est pas à toi qu’on parle. Va donc un peu voir du côté de l’étable ; tes vaches crient la soif depuis une heure, et le vacher est à la messe.

C’était la première fois que Jean donnait devant moi un ordre à Tonino quand Félicie était là. Je remarquai qu’elle ne lui commandait plus rien, et qu’il semblait s’être relâché de son activité habituelle. Il ne craignait pas Jean, et il sortit en riant et sans se presser. Il me fut impossible de surprendre le moindre dépit ou la moindre inquiétude dans ses traits.