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Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/172

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EUGÈNE. — Eh bien ! suivez-la de l’œil dans sa course gracieuse et folâtre, la demoiselle de mes rêves !

DAMIEN. — Fi ! la voilà qui flaire un rat mort !

EUGÈNE. — Non pas ! Elle le regarde, elle verse quelques larmes sur le cadavre de l’infortuné, et puis elle va chercher une fleur pour s’y balancer aux zéphyrs du soir. Elle a vu l’immondice, elle ne l’a ni insultée, ni maudite. Elle plaint le rat qui se noie ; seulement elle ne se posa pas dessus. Telle est la véritable innocence !

MAURICE. — Passons ! passons !

EUGÈNE. — Comment, passons ! Cette comparaison-là ne vaut rien, peut-être ?

MAURICE. — Si fait ! si fait ! C’est l’objet de ta comparaison qui pue la rage.

EUGÈNE. En effet, je sens l’infection du vice. Ô rats insensés ! vous folâtrez au bord de l’onde trompeuse, et puis vous y tombez ! et vous répandez la pestilence sur les rivages embaumés de notre jeunesse ! Tel est le sort…

DAMIEN. — Assez de comparaisons ! rame plus vite !


UNE POULE, au bord de l’eau, avec UNE BANDE DE CANETONS.

LA POULE. — Enfants ! enfants ! où courez-vous ? N’allez pas si près du rivage. La rivière gronde et court. Elle mouille, elle entraîne, elle noie. Enfants, ne me quittez pas, soyez toujours près de mon sein, près de mon aile. Des enfants sages ne doivent pas courir comme des fous, sans écouter ce qu’on leur dit. Enfants, enfants, m’entendez-vous ? N’allez pas si près du rivage !

LES PETITS CANARDS. — De l’eau ! de l’eau ! voyons, voyons ! oh ! comme elle brille ! oh ! qu’elle est belle ! Mère, viens-tu ? Dans l’eau ! dans l’eau ! Va donc, toi, frère ! passe le premier… j’ai peur, j’ai envie… Ah ! je n’y tiens plus, je me risque. Nous y voilà, voguons, voguons ! Ah quel plaisir ! de l’eau, de l’eau !

LA POULE, éperdue, sur le rivage. — Enfants, enfants ! méchants