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Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/96

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à prendre des airs de lorette, comme tu dis, je t’assure qu’elle ne sait pas ce que ça veut dire.

MYRTO. — Ah ! c’est qu’il y a, vois-tu, lorettes et lorettes. Il y a des lorettes lionnes, comme je te le disais, et des lionnes lorettes. Tout le monde peut être lionne. Il suffit de s’habiller d’une certaine façon, d’être crâne à cheval, de fumer crânement, enfin d’avoir de la crânerie en tout, sauf en amour ; mais, en amour, il n’est pas donné à toutes les femmes d’être lorettes, et j’ai ouï dire que beaucoup de femmes prétendaient agir comme nous.

JENNY. — Comment donc, mon Dieu ?

MYRTO. — Sous couleur de mariage (puisqu’on les épouse, ces femmes-là), elles prétendent exploiter le cœur et la bourse de leurs lions. Et puis, elles les renvoient et se promettent à d’autres. Eh bien, je dis que c’est intolérable, parce que ces dames-là ne donnent pas toujours, comme nous, des droits sur elles. Elles pêchent en restant ce qu’on appelle vertueuses. Elles ont des vices, elles n’ont pas nos hontes et nos misères. Nous sommes donc fondées à les détester et à leur faire une guerre à mort, toutes les fois que l’occasion s’en présentera.

JENNY. — Ma chère, tu ne sais pas ce que tu dis. Je ne sais pas comment sont les dames du monde, je ne les connais pas, moi ! Mais je sais que madame n’exploite la bourse de personne, et que c’est une infamie de dire cela. Elle est riche dix fois comme ton monsieur Gérard, et elle est si peu intéressée, d’ailleurs, qu’elle donne à tout le monde, à pleines mains, sans compter.

MYRTO. — Elle l’aime donc ?

JENNY. — Je ne sais pas.

MYRTO. — Ah ! tu ne sais pas ? Tu as rougi ! Elle ne l’aime pas ! Elle est entichée de son nom.

JENNY. — Pas du tout, je t’assure.

MYRTO. — Mais voilà trois mariages qu’elle rompt !

JENNY. — Je n’en sais rien, cela ne me regarde pas.

MYRTO. — Elle veut plaire et briser, voilà son plan. Elle est coquette, conviens-en !