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Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/151

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la troubler autant, ne l’égaya point. La marquise, toute à son projet, laissa voir à sa jeune confidente un fonds d’ambition de famille que celle-ci ne soupçonnait pas. Ce qu’elle avait aimé et admiré dans la marquise, c’était ce désintéressement chevaleresque, cette résignation à la perte de l’opulence et au fait accompli, dont elle avait été si frappée ; mais il lui fallut en rabattre et reconnaître que toute cette philosophie magnanime était un beau costume bien porté. La marquise n’était point hypocrite pour cela ; une personne aussi communicative n’avait pas de préméditation ; elle cédait à l’empire du moment et ne se croyait pas illogique en disant qu’elle aimerait mieux mourir de faim que de voir un de ses fils faire une bassesse pour s’enrichir, mais que mourir de faim était fort dur, que son état présent était une vie de privations, celle du marquis un purgatoire, enfin que l’on ne peut pas être heureux quand, avec beaucoup d’honneur et l’orgueil d’une conscience sans tache, on n’a pas au moins deux cent mille livres de rente.

Caroline crut pouvoir faire quelques objections générales que la marquise repoussa vivement. — Ne faut-il pas, dit-elle, que les fils des grandes familles priment toutes les autres classes de la société ? C’est une religion que vous devriez avoir, vous qui êtes bien née. Vous devriez comprendre que les gens de qualité ont des besoins légitimes, obligatoires peut-être, de libéralité très-large, et que, plus ces personnes-là sont haut placées, plus il leur est com-