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Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/207

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tance voulue par l’œil de chacun pour embrasser l’ensemble, et savoir faire, ainsi que les maîtres l’ont voulu en composant leurs tableaux, le sacrifice des détails sans importance, qui détruisent parfois dans la réalité l’harmonie et même la logique de la nature. Elle fit remarquer qu’à chaque pas on observe dans le paysage des effets invraisemblables d’ombre et de lumière, et que le vulgaire a coutume de dire : « Comment un peintre rendrait-il cela ? » À quoi le peintre répondrait : « En ne le rendant pas. »

Elle convint que l’historien est plus enchaîné que l’artiste à l’exactitude du fait, mais elle nia qu’on pût procéder par des principes différents dans l’une ou l’autre voie. Le passé et même le présent d’une vie individuelle ou collective n’avaient, selon elle, de signification et de couleur que dans leur ensemble et dans leurs effets. Les petits accidents, les irrésolutions, les déviations même rentraient dans le domaine de la fatalité, c’est-à-dire de la loi des choses finies. Pour comprendre une âme, un peuple, une époque, il fallait les voir éclairés par l’événement comme la campagne par le soleil.

Elle hasarda ces réflexions avec une grande réserve, et sous forme de questions, sans parti pris, et comme prête à les supprimer si elles n’étaient point goûtées ; mais M. de Villemer en fut frappé, parce qu’il sentit qu’elle énonçait une certitude, une foi intérieure, et que si elle consentait à se taire, elle n’en resterait pas moins convaincue. Il lutta cependant un peu et lui