Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/254

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toutes ses après-midi solitaires. Rien n’était plus convenable : ce n’était pas aller dans le monde, puisque la marquise ne recevait pas avant quatre ou cinq heures ; ce n’était même pas sortir, puisque Léonie pouvait venir en fiacre, sans toilette et comme incognito. Léonie se laissait consoler et amuser en regardant les apprêts du mariage, et parfois le duc réussissait à la faire éclater de rire, ce qui faisait très-bien, vu que, passant d’une crise de nerfs à une autre, elle cachait aussitôt sa figure dans son mouchoir à sanglots, disant : — Ah ! que c’est cruel de me faire rire ! cela me fait tant de mal !

À travers son désespoir, Léonie s’emparait de la confiance intime de la marquise jusqu’à supplanter insensiblement Caroline, qui ne s’en apercevait pas, et qui était à mille lieues de pressentir ses projets. Or voici quel était le projet capital de Léonie.

En voyant dépérir son maussade époux, pendant qu’elle arrondissait sa bourse particulière, madame d’Arglade s’était demandé quelle espèce de successeur elle pourrait bien lui donner, et, comme elle n’était pas encore dans la confidence du mariage déjà résolu avec mademoiselle de Xaintrailles, elle avait jeté son dévolu sur le duc d’Aléria. Elle le croyait immariable dans les conditions de la fortune jointe à la naissance et à la jeunesse, et se disait, non sans logique et sans vraisemblance, que la veuve d’un bon gentilhomme riche et sans enfants était le plus beau parti auquel peut aspirer un roué sans avoir, réduit à aller à pied et