Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/6

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Charlot d’une main et amusant Lili de l’autre. Chers amours, que font-ils en ce moment ? Ils ne s’imaginent pas que je suis toute seule dans une triste chambre d’auberge, car, dans la crainte d’être importune à madame d’Arglade, je suis descendue dans un petit hôtel ; mais je serai très-bien chez la marquise, et cette soirée solitaire ne m’est pas mauvaise pour me recueillir et penser à vous autres sans distraction. J’ai très-bien fait d’ailleurs de ne pas trop compter sur le gîte qui m’était offert, car madame d’Arglade est absente, et j’ai dû bravement me présenter moi-même à madame de Villemer.

Tu m’as recommandé de te faire son portrait : elle a soixante ans environ, mais elle est infirme et sort très-peu de son fauteuil ; cela et sa figure souffrante la font paraître plus âgée de quinze ans. Elle n’a jamais dû être ni belle ni bien faite ; mais sa physionomie est expressive et caractérisée. Elle est très brune ; ses yeux sont magnifiques, assez durs, mais francs. Elle a le nez droit et tombant trop sur la bouche, qui est laide et qu’on voit encore trop. Cette bouche est dédaigneuse à l’habitude ; cependant toute la figure s’éclaircit et s’humanise quand elle sourit, et elle sourit facilement. Ma première impression s’est trouvée d’accord avec la dernière. Je crois cette dame très bonne par réflexion plutôt que par entraînement, et courageuse plutôt que gaie. Elle a de l’esprit et de l’instruction. Enfin elle ne diffère pas beaucoup du portrait que madame d’Arglade nous avait fait d’elle.