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Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/60

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— Ah ! le moment est affreux pour cela ! c’est le moment de ton triomphe et de mon abaissement. Dis-moi que, sans ma mère, tu m’aurais laissé succomber ! Oui, voilà ce qu’il faut me dire, et je pourrai te pardonner ce que tu fais.

— Ne te l’ai-je pas déjà dit ?

— Dis-le-moi encore !… Tu hésites ?… Alors c’est une question d’honneur ?…

— Oui, c’est cela, une question d’honneur.

— Et tu n’exiges pas que je t’aime aujourd’hui mieux que les autres jours ?

— Je sais, reprit le marquis tristement, que par moi-même je ne suis pas fait pour être aimé ?

Le duc se sentit tout à fait vaincu ; il se jeta dans les bras de son frère. — Tiens ! s’écria-t-il, pardonne-moi. Tu vaux mieux que moi, je t’estime, je t’admire, je te vénère presque ; je sais, je sens que tu es mon meilleur ami. Mon Dieu ! qu’est-ce que je pourrai faire pour toi ? Aimes-tu une femme ? Faut-il tuer son mari ? Veux-tu que j’aille te chercher en Chine quelque manuscrit précieux, dans quelque pagode, au risque de la cangue et autres douceurs ?

— Tu ne songes qu’à t’acquitter, Gaëtan ! Si tu m’aimais seulement un peu, nous serions déjà cent fois quittes.

— Eh bien ! je t’aime de toute mon âme, répondit le duc avec force en l’embrassant, et tu vois, je pleure comme un enfant. Voyons, estime-moi un peu à ton tour. Je me corrigerai, je suis encore jeune, que