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Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/76

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réflexions elle m’aurait amené, lorsque j’entendis une voix de femme qui chantait tout près de moi…

Gaëtan chanta très-agréablement les paroles rustiques dont il avait fidèlement retenu l’air, et Caroline se mit à rire en se rappelant qu’elle avait chanté ce refrain de son pays avant d’apercevoir le duc dans le salon.

Le duc continua :

— Je m’éveillai alors, et mon rêve se dissipa complétement. Il n’y avait plus de paille sur le parquet ; les sièges rebondis à jambes de bois n’étaient plus des filles de basse-cour en sabots ; les candélabres élancés, plantés sur les postiches ventrues, n’étaient plus des femmes maigres en paniers. J’étais bien seul dans l’appartement éclairé, et j’avais bien ma connaissance ; mais j’entendais chanter un air villageois d’une façon toute rustique, toute vraie, toute charmante, avec une fraîcheur de timbre, dont, à coup sûr, le mien n’a pu vous donner aucune idée. « Tiens ! m’écriai-je intérieurement, une paysanne ! une paysanne dans le salon de ma mère ! » Je me tins coi, sans souffler, et la paysanne m’apparut. Elle passa deux fois devant moi, sans me voir, marchant vite et me frôlant presque de sa robe de soie gris de perle.

— Ah çà ! dit la marquise, c’était donc Caroline ?

— C’était une inconnue, reprit le duc, une singulière paysanne, vous en conviendrez, car elle était habillée comme une personne modeste et du meilleur monde. Elle n’était coiffée que de ses cheveux