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Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/127

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et, en me retournant, je me trouve nez à nez avec M. de Boisguilbault, qui me dit avec sa figure triste et sa voix d’enterrement : « Que fais-tu ici ?

« — Ma foi, vous le voyez, monsieur le marquis, je me cache.

« — Et pourquoi te cacher ?

« — Parce qu’il y a des gendarmes à deux pas d’ici.

« — Tu as donc fait un crime ?

« — Oui, j’ai pris deux lapins et tué un lièvre.

« Là-dessus, comme je voyais qu’il ne me ferait pas beaucoup d’autres questions, je me mets vite à lui raconter mes mésaventures, en aussi peu de mots que possible, car vous savez que c’est un homme qui a toujours dans l’esprit quelque autre chose que celle dont on l’occupe. On ne sait point s’il vous entend : il a toujours l’air de ne pas se soucier de vous écouter. Il y a bien des années que je ne l’avais vu de près, puisqu’il vit renfermé dans son parc comme une taupe dans son trou, et que je n’ai plus accès chez lui. Il m’a paru bien vieilli, bien affaibli, quoiqu’il soit encore droit comme un peuplier ; mais il est si maigre, qu’on verrait le jour à travers, et sa barbe est blanche comme celle d’une vieille chèvre ; ça me faisait de la peine, et pourtant j’étais encore plus contrarié de voir que, pendant que je lui parlais, il s’en allait coupant devant lui toutes les mauvaises herbes de son allée, avec cette petite sarclette qu’il tient toujours dans sa main. Je le suivais pas à pas, parlant toujours, racontant mes peines, non pas pour mendier ses secours, je n’y songeais pas, mais pour voir s’il avait encore un peu d’amitié pour moi.

« Enfin, il se retourne de mon côté et me dit sans me regarder : « Et pourquoi n’as-tu pas demandé une caution à quelque personne riche de ton village ?

« — Diable ! que je lui réponds, il n’y en a guère dans Gargilesse, de personnes riches.