Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’ai jamais compté sur ce hasard-là. Je me suis dit de bonne heure que je devais tirer bon parti de mon sort pour m’habituer à la dignité des sentiments, qui consiste à ne point porter envie aux autres, et à se créer des goûts simples, des occupations honnêtes.

« Je ne pense donc pas du tout au mariage, puisqu’il me faudrait peut-être, pour trouver un mari, changer quelque chose à ma manière de penser. Tenez, si vous voulez que je vous le dise, Janille s’est mis dans la tête, depuis quelques jours, une idée qui me chagrine beaucoup. Elle veut que mon père me cherche un mari. Chercher un mari ! n’est-ce pas honteux et humiliant ? et peut-on rien imaginer de plus répulsif ?

« Cette excellente amie ne comprend pourtant rien à ma résistance, et, comme mon père devait aller toucher à Argenton le terme de sa petite pension, elle a exigé tout à coup ce matin qu’il m’emmenât pour me présenter à quelques personnes de sa connaissance.

« Nous ne savons pas résister à Janille, et nous sommes partis ; mais mon père, grâce au ciel, ne s’entend pas à trouver des maris, et je saurai si bien l’aider à n’y point penser, que cette promenade n’aura aucun but.

« Vous voyez bien, monsieur Émile, qu’il ne faut point faire la cour à une fille qui n’a pas d’illusion, et qui se destine au célibat sans regret et sans honte. Je pensais que vous l’aviez compris, et que votre amitié ne chercherait jamais à troubler mon repos.

« Oubliez donc cette folie qui vient de vous passer par l’esprit, et ne voyez en moi qu’une sœur qui ne s’en souviendra pas, si vous lui promettez de l’aimer tranquillement et saintement. Pourquoi nous quitteriez-vous ? cela ferait bien de la peine à mon père et à moi !

— Cela vous ferait bien de la peine, Gilberte ? reprit Émile ; d’où vient que vous pleurez en me disant des