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Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/97

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était difficile d’y pénétrer sans se heurter contre d’énormes racines ou sans laisser son chapeau dans les branches.

« Voilà de vieux serviteurs, dit M. Antoine en frayant un passage à Émile parmi ces ancêtres du verger ; ils ne produisent plus guère que tous les cinq ou six ans ; mais alors, quels fruits magnifiques et succulents sortent de cette vieille sève lente et généreuse ! Quand j’ai racheté ma terre, tout le monde me conseillait d’abattre ces souches antiques ; ma fille a demandé grâce pour elles à cause de leur beauté, et bien m’en a pris de suivre son conseil, car cela fait un bel ombrage, et pour peu que quelques-unes produisent dans l’année sur la quantité, nous nous trouvons suffisamment approvisionnés de fruits. Voyez quel gros pommier ! Il a dû voir naître mon père, et je gage bien qu’il verra naître mes petits-enfants. Ne serait-ce pas un meurtre d’abattre un tel patriarche ? Voilà un cognassier qui ne rapporte qu’une douzaine de coings chaque année. C’est peu pour sa taille ; mais les fruits sont gros comme ma tête et jaunes comme de l’or pur : et quel parfum, Monsieur ! Vous les verrez à l’automne ! Tenez, voilà un cerisier qui n’est pas mal garni. Oui-dà, les vieux sont encore bons à quelque chose, que vous en semble ? Il ne s’agit que de savoir tailler les arbres comme il convient. Un horticulteur systématique vous dirait qu’il faut arrêter tout ce développement des branches, élaguer, rogner, afin de contraindre la sève à se convertir en bourgeons. Mais quand on est vieux soi-même, on a l’expérience qui vous conseille autrement. Quand l’arbre à fruit a vécu cinquante ans sacrifié au rapport, il faut lui donner de la liberté, et le remettre pour quelques années aux soins de la nature. Alors il se fait pour lui une seconde jeunesse : il pousse en rameaux et en feuillage ; cela le repose. Et quand, au lieu d’un squelette ramassé, il est redevenu par la cime un arbre véritable, il vous remer-