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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/118

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l’honneur de la société, répondit Huguenin, je sacrifierais peut-être mes intérêts et jusqu’à mon propre honneur.

— Vous en doutez ! s’écria le Cœur-aimable. Vous croyez que les dévorants sont plus habiles que nous ? raison de plus pour mettre votre nom et votre talent dans la balance.

— Les dévorants ont d’habiles ouvriers, mais nous en avons qui les valent ; ainsi, je ne préjuge rien sur l’issue du concours. Mais, eussions-nous la victoire assurée, je me prononcerais encore contre le concours.

— Votre opinion est bizarre, reprit le Cœur-aimable, et je ne vous conseillerais pas de la dire aussi librement à des pays moins tolérants que moi ; vous en seriez blâmé, et l’on vous supposerait peut-être des motifs indignes de vous.

— Je ne vous comprends pas, répondit Pierre Huguenin.

— Mais… reprit le Cœur-aimable, tout homme qui ne désire pas la gloire de sa patrie est un mauvais citoyen, et tout compagnon…

— Je vous entends maintenant, interrompit l’Ami-du-trait ; mais si je prouvais que, d’une manière ou de l’autre, ce concours sera préjudiciable à la société, j’aurais fait acte de bon compagnon.

Pierre Huguenin ayant répondu jusque-là à ces observations sans aucun mystère, ses paroles avaient été entendues de quelques compagnons qui s’étaient rassemblés autour de lui. Le Dignitaire, voyant cette réunion grossir et les esprits s’émouvoir, rompit le groupe en disant à Pierre : — Mon cher pays, ce n’est pas l’heure et le lieu d’ouvrir un avis différent de celui de la société. Si vous avez quelques bonnes vues sur nos affaires, vous avez le droit et la liberté de les exposer demain devant l’assemblée ; et je vous convoque, certain d’avance que