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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/143

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trèrent d’une course qu’ils avaient été faire en ville, à la sortie de la séance. Ils racontèrent qu’ils avaient vu un grand repas de charpentiers Drilles dans un cabaret. En passant devant la porte, ils avaient jeté un regard dans leur salle et avaient remarqué des militaires attablés avec eux. Les chants de guerre des Dévorants étaient venus frapper leurs oreilles :

Gavot abominable,
Mille fois détestable,
Pour toi plus de pitié ! etc.

Alors un de ces jeunes Gavots, transporté d’indignation, s’avança jusque sur le seuil du cabaret, et écrivit sur la porte avec son crayon blanc : « Lâches ! lâches ! »

Cette action d’une bravoure insensée eut le destin étrange de n’être remarquée d’aucune des personnes qui étaient dans la salle. Les convives étaient apparemment trop absorbés par le plaisir de la table, et ceux qui les servaient trop affairés pour faire attention à ce qui se passait sous leurs yeux. Les autres Gavots n’attendirent pas que la téméraire inscription attirât les regards ; ils ne se donnèrent même pas le temps de l’effacer. Voyant que Marseillais-le-Résolu (c’était le nom de leur jeune confrère) allait se précipiter dans l’antre aux lions comme un martyr des premiers siècles, ils l’arrachèrent à une mort certaine en se jetant sur lui et en l’entraînant presque de force. Ils racontèrent ce qu’il avait fait, en donnant des éloges à son courage, mais en blâment son imprudence. Le Dignitaire se joignit à eux pour lui reprocher de n’avoir pas réprimé un mouvement de colère qui pourrait attirer sur la société de nouveaux désastres. — Fasse le ciel, dit-il, qu’il ne faille pas du sang pour effacer ce que vous venez d’écrire !

Vers la fin du souper, on parla de la pièce du concours.