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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/145

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Les coups cessèrent d’ébranler la porte ; mais des voix menaçantes s’élevèrent dehors. Elles chantaient un verset de la sauvage chanson du seizième siècle :


Tous ces Gavots infâmes
Iront dans les enfers
Brûler dedans les flammes
Comme des Lucifers.


Les compagnons s’étaient levés en tumulte. Quelques-uns voulaient défendre la porte, qu’on cherchait de nouveau à enfoncer, tandis que d’autres rassembleraient les armes. Mais avant qu’on eût eu le temps de se reconnaître, une fenêtre fut brisée, la porte vola en éclats, et les charpentiers se précipitèrent dans la salle avec des cris affreux. Il y eut alors une scène de fureur et de confusion impossible à retracer. Chacun s’armait de ce qui lui tombait sous la main. Aux terribles cannes ferrées des Dévorants et aux sabres des soldats de la garnison, dont plusieurs s’étaient laissé attirer dans les rangs des Drilles à la suite d’une orgie, les Gavots opposèrent des tronçons de bouteilles dont ils frappaient les assaillants au visage, des tables sous lesquelles ils les renversaient, des broches dont ils se servaient comme de lances, et dont l’un des plus vigoureux colla son adversaire à la muraille. Leur défense était légitime ; elle fut opiniâtre et meurtrière. Pierre Huguenin s’était d’abord jeté entre les combattants, espérant faire entendre sa voix et empêcher le carnage. Mais il fut repoussé violemment, et dut bientôt songer à défendre sa vie et celle de ses frères. La Savinienne s’élança sur l’escalier de sa chambre, et le gravit avec la force et la rapidité d’une panthère, emportant ses deux enfants dans ses bras. Elle les poussa dans le grenier, leur montrant avec énergie un dégagement par lequel ils pouvaient fuir vers la grange et se mettre en sûreté. Puis elle re-