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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/172

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remplissant coup sur coup le verre du Berrichon, et en l’excitant à boire, si bien qu’au bout de cinq minutes la Clef-des-cœurs menaçait de s’endormir en travers de la table. Pierre le prit dans ses bras vigoureux, et, quoique ce ne fût pas un mince fardeau, il l’emporta dans la soupente et le déposa sur le lit du Corinthien. Puis il revint se mettre à table, et, délivré de toutes ses inquiétudes, il prit part à la conversation. Jusque-là, c’était une causerie générale, une sorte de dissertation où plusieurs opinions étaient débattues sous forme dubitative. On était animé pourtant, mais sans aigreur, et les convives paraissaient être d’accord sur un point principal qu’ils n’articulaient pas, mais qui semblait établir entre eux un lien sympathique. Ce ton vif et enjoué séduisait Pierre ; sa curiosité était excitée de plus en plus, et bientôt il cessa de voir qu’il était lui-même l’objet de la curiosité d’autrui. On n’y mettait pourtant pas infiniment d’adresse ; et le commis voyageur, celui qui paraissait être le président improvisé de cette réunion, avait si peu de réserve, que Pierre était surpris de voir un homme si jeune et si étourdi chargé d’une mission aussi dangereuse. Mais ce jeune homme s’exprimait avec une facilité qui lui plaisait et qui exerçait une sorte de fascination sur le Dignitaire et sur le Vaudois. Pierre se sentit entraîné à sortir de sa réserve habituelle et à faire des questions à son tour. — Vous prétendiez tout à l’heure, Monsieur, dit-il à l’étranger, qu’un parti puissant existe en France pour proclamer la république ?…

— J’en suis certain, répondit l’étranger en souriant ; j’ai assez parcouru la France pour avoir été, grâce à mon négoce, en relation avec des Français de toutes les classes. Je puis vous assurer que partout j’ai trouvé des sentiments républicains ; et si, par je ne sais quelle cata-