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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/178

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roi ; je demande ce qu’on mettrait à la place de la Charte.

— Ah ! ah ! la Charte ne vous satisfait pas ! dit l’avocat en riant.

— Il serait possible, répondit Pierre avec un peu de malice. Et si une partie de la nation était dans le même cas que moi, que lui répondriez-vous pour la satisfaire ?

— Parbleu ! cela n’est pas bien embarrassant ! dit le commis voyageur gaiement. On dirait à ceux qui trouvent la Charte mal faite : Faites-la meilleure.

— Et si nous disions que nous la trouvons tout à fait mauvaise, et que nous en voulons une toute neuve ? dit le maître serrurier qui avait écouté toute cette discussion avec l’austérité rancunière d’un vieux jacobin.

— Dans ce cas-là, on vous dirait, répondit Achille Lefort : Faites-en vite une autre, et en avant la Marseillaise !

— Est-ce votre avis à tous ? s’écria le vieillard d’une voix de tonnerre en se levant et en promenant un regard sombre sur les auditeurs stupéfaits : en ce cas je suis des vôtres, et j’ouvre ma veine pour signer le pacte avec mon sang ; autrement, je brise le verre où j’ai bu à vos santés.

Et en parlant ainsi, il étendait son bras droit retroussé jusqu’au coude et tatoué de figures cabalistiques, tandis que de la main gauche il frappait avec son verre sur la table ébranlée. Sa figure triste et sévère, son épais sourcil blanc frémissant sur un œil enflammé, tout son aspect à la fois brutal et imposant fit une impression désagréable sur l’avocat et le médecin. D’abord la sortie de ce vieux sans-culotte les avait fait sourire dédaigneusement ; mais ce sourire expira sur leurs lèvres lorsqu’ils virent combien son action était sérieuse et son apostrophe passionnée. Le Vaudois, électrise par son exemple, s’était levé aussi ; et