Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/191

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autre chose qu’accomplir un devoir, et que vous m’auriez béni et approuvé si vous aviez eu l’œil sur moi.

— Allons, tu me réponds comme tu veux, dit le vieux menuisier ; et il y a des instants où tu me persuades que tu es le père, et moi le fils. C’est singulier pourtant, mais c’est ainsi.

Il se trouva si bien ce jour-là, qu’il put souper avec son fils, les deux compagnons et les apprentis. Il se prenait de prédilection pour Amaury, dont la douceur et les soins respectueux le charmaient ; et, quoiqu’il répugnât à le questionner sur certaines choses, il se disait à part lui : Si c’est là un de ces enragés Compagnons, du moins il faut avouer que sa figure et ses paroles sont bien trompeuses. Il commençait aussi à revenir sur le compte du Berrichon, et à reconnaître d’excellentes qualités sous cette rude enveloppe. Ses naïvetés le faisaient rire, et il n’était pas fâché d’avoir quelqu’un à reprendre et à railler ; car il avait, comme on a pu le voir, le caractère taquin des gens actifs ; et la dignité habituelle de son fils et du Corinthien le gênait bien un peu.

Ce soir-là, quand le Berrichon eut apaisé sa première faim, qui était toujours impétueuse, il entama la conversation, la bouche pleine et le coude sur la table.

— Camarade, dit-il au Corinthien, pourquoi donc ne voulez-vous pas que je raconte à maître Pierre ce qui s’est passé à son sujet tantôt avec ce grand sotiot de Polydore, Théodore (je ne sais pas comment vous l’appelez), enfin le garçon de l’intendant du château ?

Amaury, mécontent de cette indiscrétion, haussa les épaules et ne répondit rien. Mais le père Huguenin n’était pas disposé à laisser tomber le babil du Berrichon.

— Mon cher Amaury, dit-il, je ne vous conseille pas d’avoir des secrets de moitié avec ce garçon-là. Il est fin