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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/221

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Pierre écoutait les paroles d’Yseult résonner à ses oreilles comme de la musique. Les éloges qu’elle donnait à son ami et les expressions dont elle se servait lui semblaient sortir d’un rêve. Il ne songeait plus à voir en elle que la femme de goût et d’intelligence, dont la retraite studieuse l’avait rempli d’enthousiasme avant qu’il vît sa personne. Pendant qu’elle parlait à son père, il avait osé la regarder ; et il la trouvait, dans ce moment, aussi belle qu’il l’avait imaginée. C’est qu’elle parlait avec animation des choses qui remplissaient le cœur et la pensée doe l’Ami-du-trait et de l’ami du Corinthien. Il la sentait son égale, tant qu’il la voyait sous cette face d’artiste.

— Nous pouvons donc être quelque chose à ses yeux, pensait-il ; et si elle a la misérable pensée de mépriser nos manières et nos habits gmssiers, du moins elle est forcée de comprendre qu’il faut un certain génie pour ennoblir le travail des mains.

Plus fier et plus heureux des éloges qu’on donnait au Corinthien que s’il les eût mérités lui-même, il sentit sa timidité se dissiper tout à coup.

— Je voudrais que le Corinthien fût ici, dit-il, et qu’il entendit comme on parle de son ouvrage. Je voudrais pouvoir retenir les mots qui viennent d’être prononcés, pour les lui transmettre ; mais je crains de ne les avoir pas assez compris pour les lui répéter.

— Ma foi ! c’est tout au plus si je les entends moi-même, dit le vieux comte en riant. La langue s’enrichit tous les jours de subtilités charmantes. Voulez-vous m’expliquer, à moi, tout ce que vous venez de dire, ma fille ?

— Mon père, répondit Yseult, n’est-ce pas qu’il y a des choses qui sont d’autant mieux qu’elles ne sont pas tout à fait bien ? Est-ce que le sourire naïf d’un enfant n’est pas mille fois plus charmant que l’affabilité étudiée d’un