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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/26

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un devis à vue d’œil ; et, comme nous travaillons ensemble…

— Mais votre fils est-il un bon ouvrier ? demanda M. Lerebours.

— Quand même il ne vaudrait pas son père, répondit le menuisier, ne travaille-t-il pas sous mes yeux et sous mes ordres ?

M. Lerebours savait fort bien que le fils Huguenin était un homme très-précieux à employer. Il attendit que les deux artisans eussent passé leurs vestes et qu’ils se fussent munis de la règle, du pied-de-roi et du crayon. Après quoi, ils se mirent tous trois en route, parlant peu et chacun se tenant sur la défensive.

CHAPITRE II.

Pierre Huguenin, le fils du maître menuisier, était le plus beau garçon qu’il y eût à vingt lieues à la ronde. Ses traits avaient la noblesse et la régularité de la statuaire ; il était grand et bien fait de sa personne ; ses pieds, ses mains et sa tête étaient fort petits, ce qui est remarquable chez un homme du peuple, et ce qui est très-compatible avec une grande force musculaire dans les belles races ; enfin ses grands yeux bleus ombragés de cils noirs et le coloris délicat de ses joues donnaient une expression douce et pensive à cette tête qui n’eût pas été indigne du ciseau de Michel-Ange.

Ce qui paraîtra singulier, et ce qui est positif, c’est que Pierre Huguenin ne se doutait pas de sa beauté, et que ni les hommes, ni les femmes de son village ne s’en doutaient guère plus que lui. Ce n’est pas que dans aucune classe l’homme naisse dépourvu du sens du beau, mais ce sens a besoin d’être développé par l’étude de l’art et par l’habi-