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LE COMPAGNON

— Non, non ! vous ne le pouvez pas, répondit Pierre.

Alors Yseult fit un pas vers lui ; et, après quelques instants d’hésitation, tandis qu’il essuyait ses joues inondées de sueur et de larmes :

— Maître Huguenin, lui dit-elle, en votre âme et conscience, pensez-vous ne devoir pas me dire la cause de vos larmes ! Si vous répondez que vous ne le devez pas, je ne vous interrogerai plus.

— Je vous jure sur l’honneur que je pleure à présent sans cause réelle, à ce qu’il me semble. Je ne sais vraiment pas pourquoi je me sens terrassé ainsi, et il me serait impossible de vous l’expliquer.

— Mais tout à l’heure, reprit Yseult avec effort, quand je vous ai surpris dans le même état où vous venez de retomber, qu’aviez-vous ? Est-ce donc un secret que vous ne puissiez confier !

— Je le pourrais, et vous verriez que ce ne sont pas des pensées indignes de vous occuper aussi.

— Mais ne voudriez-vous pas confier ces pensées à mon père ?

— Je pourrais les dire tout haut et devant le monde entier ; mais je ne sais pas s’il y aurait dans le monde entier un seul homme qui pût répondre.

— Moi, je crois que cet homme existe, et c’est celui dont je vous parle. C’est le plus juste, le plus éclairé et le meilleur que je connaisse ; vous devez trouver naturel que je vous le recommande. Écoutez : dans deux heures il viendra s’asseoir sous ce tilleul que vous voyez là-bas, à l’entrée du parterre. C’est là qu’il vient, tous les jours de beau temps, déjeuner, lire ses journaux, et causer avec moi. Voulez-vous venir causer aussi ? Si je vous gêne, je vous laisserai seul avec lui.

— Merci ! merci ! répondit Pierre. Vous voulez me faire du bien ; vous êtes charitable, je le sais. Je sais aussi que