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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 2.djvu/51

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LE COMPAGNON

avait eu des pensées de suicide, et que le sentiment du devoir filial avait pu seul le rattacher à une existence qui ne lui apparaissait plus que comme une épreuve accablante dans un lieu de tortures et d’iniquités.

Lorsqu’il prononça ces derniers mots d’une voix émue et le visage couvert de pâleur, Yseult se leva brusquement et fit quelques tours d’allée, feignant de chercher quelque chose. Mais, lorsqu’elle revint à sa place, ses traits étaient fatigués et son regard brillant : peut-être avait-elle pleuré.

Rien n’égalait la surprise du comte de Villepreux. Il regardait avec des yeux perçants la figure inspirée du jeune prolétaire, et se demandait où cet homme, habitué à manier un rabot, avait pu découvrir et développer le germe d’idées si vastes et de préoccupations si élevées.

— Savez-vous, maître Pierre, lui dit-il lorsqu’il l’eut écouté jusqu’au bout avec la plus grande attention, que vous feriez un grand orateur, et peut-être un grand écrivain ? Vous parlez comme un apôtre et vous raisonnez comme un philosophe !

Quoique cette remarque lui parut frivole à propos d’une discussion si sérieuse, Pierre fut flatté malgré lui d’être loué ainsi devant Yseult.

— Je ne sais ni parler ni écrire, répondit-il en rougissant ; et, n’ayant que des problèmes à poser, je serais un méchant prédicateur, à moins que vous ne voulussiez, monsieur le comte, me dicter mes conclusions et me poser mes articles de foi.

— Palsambleu ! s’écria le comte en frappant sur la table avec sa tabatière et en regardant sa fille, comme il parle de cela ! Il remue le ciel et la terre de fond en comble, il fouille plus avant dans les mystères de la vie humaine que tous les sages de l’antiquité, et il veut que je sache les secrets du Père éternel ! Mais me prenez-vous donc pour le diable ou pour le pape ? Et croyez-vous qu’il ne faille