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Page:Sand - Legendes rustiques.djvu/25

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tale pourprée, tachetée de noir et de blanc, comme les granits où elle se plaît ; la rosée du soleil (rosea solis) ; de charmants saxifrages, et une variété de lierre à petites feuilles, qui trace sur les blocs gris, de gracieuses arabesques où l’on croit lire des chiffres mystérieux.

Autour de ce sanctuaire croissent des arbres magnifiques, des hêtres élancés et des châtaigniers monstrueux. C’est dans un de ces bois ondulés et semés de roches libres, comme celles de la forêt de Fontainebleau, que je trouvai, une année, la végétation splendide et l’ombre épaisse au point que le soleil, en plein midi, tamisé par le feuillage, ne faisait plus pénétrer sur les tiges des arbres et sur les terrains moussus que des tons froids semblables à la lumière verdâtre de la lune.

Il n’est pas un coin de la France où les grosses pierres ne frappent vivement l’imagination du paysan, et quand de certaines légendes s’y attachent, vous pouvez être certain, quelle que soit l’hésitation des antiquaires, que le lieu a été consacré par le culte de l’ancienne Gaule.

Il y a aussi des noms qui, en dépit de la corruption amenée par le temps, sont assez significatifs pour détruire les doutes. Dans une certaine localité de la Brenne on trouve le nom très bien conservé des Druiders. Ailleurs, on trouve les durders, à Crevant les Dorderins. C’est un semis de ces énormes galets granitiques au sommet d’un monticule conique. Le plus élevé est un champignon dressé sur de petits supports. Ce pourrait être un jeu de la nature, mais ce ne serait pas une raison pour que cette pierre n’eût pas été consacrée par les sacrifices. D’ailleurs elle s’appelle le grand Dorderin. C’est comme si l’on disait, le grand autel des Druides.

Un peu plus loin, sur le revers d’un ravin inculte et envahi par les eaux, s’élèvent les parelles. Cela signifie-t-il pareilles, jumelles, ou le mot vient-il de patres, comme celui de marses ou martes vient de matres selon nos antiquaires[1] ? Ces parelles ou patrelles sont deux masses à peu près identiques de volume et de hauteur, qui se dressent, comme deux tours, au bord d’une terrasse naturelle d’un assez vaste développement. Leur base repose sur des assises plus petites. J’y ai trouvé une scorie de mâche-fer, qui m’a donné beaucoup à penser. Ce lieu est loin de toute habitation et n’a jamais pu en voir asseoir aucune sur ses aspérités aux fonds inondés. Qu’est-ce qu’une scorie de forge venait faire sous les herbes, dans ce désert où ne vont pas même les troupeaux ? Il y avait donc eu là un foyer intense, peut-être une habitude de sacrifices ?

J’ai parlé de ce lieu parce qu’il est à peu près inconnu. Nos histoires du Berry n’en font mention que pour le nommer et le ranger hypothétiquement et d’une manière vague parmi les monuments celtiques. Il est cependant d’un grand intérêt aux points de vue minéralogique, historique, pittoresque et botanique.

À une demi-lieue de là on voyait encore, il y a quelques années, le trou aux Fades (la grotte aux Fées), que le propriétaire d’un champ voisin a jugé à propos d’ensevelir sous les terres, pour se préserver apparemment des malignes influences de ces martes. C’était une habitation visiblement taillée dans le roc et composée de deux chambres, séparées par une sorte de cloison à jour. Les paysans croyaient voir, dans un enfoncement arrondi, le four où ces anachorètes faisaient cuire leur pain. Toutefois, cet ermitage n’avait pas été consacré par le séjour de bonnes âmes chrétiennes. Autrement

  1. On ne s’accorde pas sur l’étymologie des fameuses pierres jomatres, de Boussac : les uns disent jo-math, celte, les autres jovis-matri, latin.