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Page:Sand - Legendes rustiques.djvu/36

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III.

LES LAVEUSES DE NUIT ou LAVANDIÈRES.


À la pleine lune, on voit, dans le chemin de la Font de Fonts (Fontaine des Fontaines), d’étranges laveuses ; ce sont les spectres des mauvaises mères qui ont été condamnées à laver, jusqu’au jugement dernier, les langes et les cadavres de leurs victimes.
Maurice SAND.


Voici, selon nous, la plus sinistre des visions de la peur. C’est aussi la plus répandue ; je crois qu’on la retrouve en tous pays.

Autour des mares stagnantes et des sources limpides, dans les bruyères comme au bord des fontaines ombragées dans les chemins creux, sous les vieux saules comme dans la plaine brûlée du soleil, on entend, durant la nuit, le battoir précipité et le clapotement furieux des lavandières fantastiques. Dans certaines provinces, on croit qu’elles évoquent la pluie et attirent l’orage en faisant voler jusqu’aux nues, avec leur battoir agile, l’eau des sources et des marécages. Il y a ici confusion. L’évocation des tempêtes est le monopole des sorciers connus sous le nom de meneux de nuées. Les véritables lavandières sont les âmes des mères infanticides. Elles battent et tordent incessamment quelque objet qui ressemble à du linge mouillé, mais qui, vu de près, n’est qu’un cadavre d’enfant. Chacune a le sien ou les siens, si elle a été plusieurs fois criminelle. Il faut se bien garder de les observer ou de les déranger car, eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, elles vous saisiraient, vous battraient dans l’eau et vous tordraient ni plus ni moins qu’une paire de bas.

Nous avons entendu souvent le battoir des laveuses de nuit résonner dans le silence autour des mares désertes. C’est à s’y tromper. C’est une espèce de grenouille qui produit ce bruit formidable. Mais c’est bien triste d’avoir fait cette puérile découverte et de ne plus pouvoir espérer l’apparition des terribles sorcières, tordant leurs haillons immondes, dans la brume des nuits de novembre, à la pâle clarté d’un croissant blafard reflété par les eaux.