Page:Sand - Legendes rustiques.djvu/87

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jamais voulu frayer avec les flambettes, encore qu’elles m’aient fait bien des avances, et que je les aie vu danser en belles jeunes filles autour de mon parc.

— Et sauriez-vous me donner un charme pour m’en débarrasser ? dit Ludre tout accablé.

— J’ai ouï dire, répondit le vieux, que celui qui pourrait couper la barbe à cette maudite chèvre la gouvernerait à son gré ; mais on y risque gros, à ce qu’il paraît, car si on lui en laisse seulement un poil, elle reprend sa force et vous tord le cou.

— Ma foi, j’y tenterai tout de même, reprit Ludre, car autant vaut y périr que de m’en aller en languition comme j’y suis.

La nuit suivante, il vit la vieille en figure de flambette approcher de sa cabane, et il lui dit : — Viens çà, la belle des belles, et marions-nous vitement.

Quelle fut la noce, on ne l’a jamais su ; mais sur minuit, la sorcière étant bien endormie, Ludre prit les ciseaux à tondre les moutons et, d’un seul coup, lui trancha si bien la barbe, qu’elle avait le menton tout à nu, et il fut content de voir que ce menton était rose et blanc comme celui d’une jeune fille. Alors l’idée lui vint de tondre ainsi toute sa chèvre épousée, pensant qu’elle perdrait peut-être toute sa laideur et sa malice avec sa toison.

Comme elle dormait toujours ou faisait semblant, il n’eut pas grand’peine à faire cette tondaille. Mais quand ce fut fini, il s’aperçut qu’il avait tondu sa houlette et qu’il se trouvait seul, couché avec ce bâton de cormier.

Il se leva bien inquiet de ce que pouvait signifier cette nouvelle diablerie, et son premier soin fût de recompter ses bêtes qui se trouvèrent au nombre de deux cents, comme si aucune ne se fût jamais noyée.

Alors, il se dépêcha de brûler tout le poil de la chèvre et de remercier le bon saint Ludre, qui ne permit plus aux flambettes de le tourmenter.

GEORGE SAND

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