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Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/28

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Il a gravi son échelle, il s’est élancé vers moi d’un seul bond, comme un daim qui sort de son refuge. Il y a longtemps que vous ne l’avez vu, Charles ; vous ne pouvez pas vous figurer comme il est beau ! Il est peut-être encore plus beau que Roger ; il a des yeux de diamant noir, des cheveux de soie tout naturellement frisés, un sourire imperceptible qui a des profondeurs inouïes de sympathie et de compréhension. Il n’a pas encore la moindre barbe, et il est plus petit que Roger, qui pourtant a l’air moins fort et moins homme que lui. Gaston n’est pas non plus, à beaucoup près, aussi démonstratif, il a la gravité et la retenue du paysan. Il ne m’étouffe pas de baisers comme son frère, il se couche à mes pieds et colle ses lèvres à mes mains ; mais j’y sens ses larmes, et dans un simple mot de lui il y a plus que dans un torrent de paroles charmantes.

» Je l’avais à peine embrassé que Ambroise, qui faisait le guet, est venu me reprendre pour me cacher. Deux autres vachers arrivaient avec un troupeau de chez Michelin pour prendre la place d’Espérance, qui, comptant me voir au Refuge, avait annoncé une absence de quelques jours.

» L’échange des paroles et l’installation des animaux m’ont paru bien longs. J’entendais la voix de mon fils dominer avec autorité les autres et les plaintes des bêtes impatientes, et cette voix de pasteur montagnard me semble toujours si étrange dans sa