Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
Les Maîtres Sonneurs

me direz rien de votre position ? Je ne dois pas savoir si vous devez un jour favoriser Joseph, ou si vous n’avez pas donné parole à quelque autre, ne fût-ce qu’à ce grand garçon-là qui dort sur votre tablier ?

— Vous êtes trop curieux ! dit Brulette en se levant et en se hâtant de me retirer le tablier que je fus bien forcé de lâcher, en faisant celui qui s’éveille.

— Partons, dit Huriel, que la mauvaise humeur de Brulette ne paraissait point entamer et qui montrait toujours le rire sur ses dents blanches et dans ses grands yeux, les seuls endroits de sa figure qui ne fussent point en deuil.

Nous reprîmes le chemin du Bourbonnais. Le soleil s’était caché sous une grosse nuée qui montait, et il commençait à tonner dans les bas du ciel.

— Cet orage-là n’est rien, dit le muletier : il s’en va sur notre gauche. Si nous n’en rencontrons pas un autre en tirant sur les affluents de la Joyeuse, nous arriverons sans peine ; mais le temps est si lourd qu’il faut s’apprêter à tout.

Il déplia alors son manteau, qui était lié derrière lui avec une belle capiche de femme, toute neuve, dont Brulette s’émerveilla. — Vous ne direz pas, fit-elle en rougissant, que vous n’êtes pas marié ? À moins que ce ne soit un cadeau de noces que vous avez acheté en chemin ?

— C’est possible, dit Huriel du même air ; mais s’il vient à pleuvoir, vous l’étrennerez et ne le trouverez pas de trop, car votre cape est légère.

Comme il l’avait prédit, le temps s’éclaircit d’un côté et s’embrouilla de l’autre, et, comme nous traversions une brande plate, entre Saint-Saturnin et Sidiailles, il s’émaliça tout d’un coup et nous battit d’un grand vent. Le pays devenait sauvage, et la tristesse me prit malgré moi. Brulette aussi trouva l’endroit bien aride, et observa qu’il n’y avait pas un seul arbre pour s’abriter. Huriel se moqua de nous.