Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/227

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SEIZIÈME VEILLÉE


Cependant ma vue s’éclaircit peu à peu, et mes pieds, que la douleur tenait comme chevillés en terre, me permirent de suivre le grand bûcheux qui m’entraînait du côté des loges. Je fus alors bien étonné de voir que nous étions seuls avec sa fille, Joseph, Brulette et les trois ou quatre anciens qui avaient assisté au combat. Tout le reste du monde s’était ensauvé sitôt qu’on avait vu prendre les bâtons, afin de n’avoir point à témoigner en justice si l’affaire tournait mal. Les gens des bois ne se trahissent point les uns les autres, et pour n’avoir point à être appelés et tourmentés par les hommes de loi, ils s’arrangent pour ne rien savoir et n’avoir rien à dire. Le grand bûcheux parla aux anciens dans leur langage, et je les vis retourner sur le lieu du combat, sans pouvoir m’imaginer ce qu’ils y voulaient faire ; je suivis Joseph et les femmes, et nous revînmes aux loges sans nous dire un mot les uns aux autres.

Quant à moi, j’avais été si secoué en moi-même, que je ne me sentais point en train de causer. Quand nous fûmes rentrés en la loge, nous étions tous si blêmes que nous nous fîmes quasiment peur. Le grand bûcheux, qui nous avait rejoint, s’assit, l’air pensif et les yeux fichés en terre. Brulette, qui avait fait un grand effort pour ne questionner personne, fondit en larmes dans un coin ; Joseph, comme accablé de fatigue et de souci, s’étendit de son long sur le lit de fougère. Thérence seule allait et venait pour préparer la couchée ; mais elle avait les dents serrées, et quand elle faisait effort pour parler, il semblait qu’elle fût devenue bègue.

Mais, au bout de quelques moments donnés à la réflexion ou à l’inquiétude, le grand bûcheux se leva, et nous regardant tous : — Eh bien, mes enfants, nous dit-il, qu’est-ce qu’il y a donc ? Une leçon a été donnée, en toute justice, à un mauvais homme, connu dans tous