Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/365

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quand nulle mouche ne vous pique ? Je n’ai rien contre personne ; seulement je suis en humeur de me moquer de tout, et je ne pense pas que vous m’en puissiez ôter l’envie.

— Peut-être ! dit Huriel, dépité à son tour.

— Essayez-y donc ! reprit Joseph toujours ricanant.

— Assez ! dit le grand bûcheux, frappant sur la table avec sa grosse main noueuse. Taisez-vous l’un et l’autre, et puisqu’il n’y a pas de franchise chez toi, Joseph, j’en aurai pour deux. Tu as méconnu dans ton cœur la femme que tu voulais aimer ; c’est un tort que le bon Dieu peut te pardonner, car il ne dépend pas toujours d’un homme d’être confiant ou méfiant dans ses amitiés ; mais c’est, à tout le moins, un malheur qui ne se répare guère. Tu es tombé dans ce malheur, il faut t’y accoutumer et t’y soumettre.

— Pourquoi donc ça, mon maître ? dit Joseph, se redressant comme un chat sauvage. Qu’est-ce qui s’est chargé de dire mon tort à celle qui n’en avait pas eu connaissance et qui n’a rien eu à en souffrir ?

— Personne ! répondit Huriel. Je ne suis pas un lâche.

— Alors, qui s’en chargera ? reprit Joseph.

— Toi-même, dit le grand bûcheux.

— Et qui m’y obligera ?

— La conscience de ton propre amour pour elle. Un doute ne va jamais seul, et si tu es guéri du premier, il t’en viendra un second qui te sortira des lèvres aux premiers mots que tu lui voudras dire.

— M’est avis, Joseph, dis-je à mon tour, que c’est déjà fait, et que tu as offensé, ce soir, la personne que tu veux disputer.

— C’est possible, répondit-il fièrement ; mais cela ne regarde qu’elle et moi. Si je veux qu’elle en revienne, qui vous dit qu’elle n’en reviendra pas ? Je me rappelle une chanson de mon maître dont la musique est belle et les paroles vraies :

On donne à qui demande.