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carl

nous le retrouvâmes sans peine, et, après avoir fait bien dîner Carl, après avoir pris moi-même quelques heures de repos, je me levai à l’entrée de la nuit, et je m’approchai de son lit. Je le vis d’abord dormir paisiblement ; mais bientôt il se leva, s’habilla, se mit à errer autour de la chambre, et tâcha de sortir. Je l’avais enfermé, et la clef était dans ma poche. Il s’approcha alors de la fenêtre. Je me mis au-devant pour l’empêcher de se risquer sur les toits. En éprouvant de la résistance, il frissonna légèrement, et, comme s’il m’eût vu à demi, il me dit quelques paroles inintelligibles, et retourna s’asseoir sur son lit. Puis, après avoir réfléchi, il alla se placer devant une table, et commença à remuer les doigts dessus comme s’il eût joué du piano. Au bout de quelques instants, il se mit à chanter sur cet accompagnement imaginaire.

Je le pris doucement dans mes bras et je le conduisis à son lit, où il se laissa étendre, et bientôt il dormit profondément.

Les nuits suivantes, je continuai mes observations, et j’eus le loisir de me convaincre que Carl était somnambule.

Je le conduisis avec soin jusqu’à Inspruck, où j’appelai un bon médecin. Il me déclara que la guérison de Carl dépendait de la satisfaction de sa passion dominante. Je l’emmenai donc à Vienne, où je le mis entre les mains d’un excellent professeur. Il avait étudié déjà un peu de piano en cachette chez l’organiste de son village, et montrait une grande prédilection pour cet instrument. Il y fit des progrès rapides, et, à l’heure où j’écris, il promet de devenir un compositeur distingué. À mesure que son génie