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Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/214

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souvenait-il ? Sa conscience lui ferait-elle un devoir de sacrifier sa vie au caprice d’une enfant qui n’avait aucun droit sur lui ?

Un moment vint, durant cette terrible quinzaine, où je me trouvai complétement désarmé. Manuela était toujours plus souffrante et je commençais à craindre l’invasion d’un mal sérieux. Elle ne voulait pas s’en occuper et je la grondais toujours assez brutalement, mais avec une animation qui éclairait de plus en plus la clairvoyante Dolorès. Sans doute, quand je n’étais pas là, elle commentait toutes mes paroles et forçait sa maîtresse à les interpréter comme des aveux involontaires.

Un soir que nous étions seuls dans son boudoir, je remarquai qu’à tous mes reproches Manuela souriait et me regardait avec des yeux humides, comme si je lui eusse dit les choses les plus tendres. J’eus peur, je me hâtai de redevenir amer dans l’ironie ; je crois que je fus même grossier. Je ne sais quelles paroles me vinrent aux lèvres. Tout à coup je sentis dans l’ombre qui nous avait envahis ses deux bras flexibles autour de mon cou.

— Tu me hais donc bien ! me dit-elle en penchant sa joue contre mon visage.

— Malheureuse ! tais-toi, m’écriai-je, ou je croirai…