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Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/230

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jouons ici une infâme comédie ! Parlez, Laurent, parlez devant elle, je le veux, je l’exige ! J’ai le droit de conseil, j’ai le devoir de bien conseiller ; mais vous ne dépendez que de vous-mêmes. Faudra-t-il répéter… ah ! j’en rougis ! que je n’ai aucun autre droit sur l’un de vous ?

Je saisis ses mains tremblantes et les pressai contre ma poitrine.

— Ne me prenez pas pour un lâche, m’écriai-je, je vous estime et vous vénère. Jamais je n’aurais accepté le sacrifice de Manuela, ou, si, égaré par la passion, j’eusse oublié mon devoir, j’aurais promptement réparé ma faute. J’ai foi en elle, j’ai foi en vous. Si je vous semble hésitant et troublé, c’est que j’ai une autre crainte, une crainte poignante ; faut-il donc que je vous la dise, ne pouvez-vous la deviner ? Vous parliez d’héroïsme, c’est vous qui êtes capable d’héroïsme et qui savez joindre aux actions stoïques toute la puissance du savoir-vivre. Tenez ! si j’ai été abusé par tout ce que l’on m’a forcé d’entendre, si mon bonheur vous coûte un regret ; si, aveugle et sourd que j’étais, j’ai payé d’ingratitude votre loyale amitié, je ne veux pas rester une heure de plus ici. Je renonce à Manuela, je ne la reverrai jamais.

— C’est bien, mon ami, répondit M. Brudnel, je