Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

naissait mieux que moi, il savait quelles cordes il fallait faire vibrer pour lui rendre la vitalité qui lui était propre. Lui aussi, il avait sa puissante coquetterie, et je vis bien qu’il l’avait toujours portée jusque dans son rôle de père. De là le charme de sa société pour Manuela, charme que probablement je ne pourrais jamais remplacer.

Je réussis à cacher l’amertume de mes réflexions, et sir Richard se flatta de vaincre mes résistances inavouées par sa grâce et son abandon. Au bout d’une heure, il voulut nous laisser ensemble, mais je me levai, décidé à le suivre. Je craignais de laisser voir à Manuela mes tourments intérieurs.

— Il faut absolument que je fasse au moins une partie de mon courrier, dit M. Brudnel ; mais nous pouvons bien dîner tous les trois, n’est-ce pas, docteur ?

— Dîner ? mais elle a la fièvre.

— En êtes-vous sûr ? dit Manuela en me tendant son bras.

Elle avait la main fraîche ; sous la bénigne influence de sir Richard, la fièvre s’était soudainement dissipée. Encore un coup de poignard pour moi. Ma passion tuait Manuela, la douce amitié de Richard lui rendait la vie.