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Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/7

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y avait donc dans la nature de ses occupations et dans la rapidité de notre petite fortune un point mystérieux dont il n’avait jamais été question devant nous et que personne autour de nous ne savait. Mon père s’occupait de colportage, d’échanges de denrées, de commerce en un mot ; voilà ce que l’on nous disait et ce que personne autour de nous ne contestait. Quand on lui remontrait qu’il était toujours en voyage et ne jouissait guère du bonheur de vivre en famille, il répondait :

— C’est mon devoir de faire ce sacrifice. Je me suis marié jeune et absolument pauvre. J’étais simple gardeur de moutons. Ma femme avait un petit capital que j’ai risqué dans les affaires pour le doubler et que j’espère quadrupler avec le temps et le courage. Quand j’en serai venu à bout, je ne quitterai plus mon nid, j’aurai mérité d’être heureux.

Il passait pour le meilleur et le plus honnête homme du monde, et, à son point de vue, il était certainement l’un et l’autre, mais il était trop fin et trop prudent pour n’avoir pas quelque chose à cacher. À peine fûmes-nous en route pour ce beau voyage à la montagne, que je m’en aperçus. Il avait une foule de connaissances qui n’avaient jamais paru chez nous. Il les abordait d’un air ouvert et s’éloignait aussitôt pour leur parler bas et avec des précautions extrêmes. Ma mère