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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/102

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ce projet d’union, qu’elle faisait bon marché du nom, qu’elle était séduite par le chiffre d’une fortune au moins égale à la vôtre, et surtout par l’intérêt que vous paraissiez porter au jeune Lemontier. C’est alors que, m’ouvrant son cœur comme si elle m’eût connu depuis dix ans, elle m’a dit les sentiments que vous lui aviez confiés ou qu’elle vous attribue… car je ne puis me persuader que vous ayez pris si grande confiance en un étranger apparu depuis si peu de jours dans votre existence. Vous prétendez, selon votre tante, qu’il n’a rien d’un athée, qu’il croit aux principaux dogmes de la foi, et que vous avez la ferme espérance de le convertir au culte des vrais fidèles. Mademoiselle de Turdy, qui me paraît fort crédule, partage cette illusion, et a fait tout son possible pour me la faire partager. Selon elle, ce serait une gloire pour vous et un triomphe pour la religion, si le fils d’un homme dont les dangereux écrits sont tristement célèbres abjurait publiquement ses erreurs en vous épousant. Elle croit que l’amour fera ce miracle, que Dieu n’a pu faire, et j’ai dû combattre de telles espérances avec des arguments que je viens vous répéter et vous soumettre en peu de mots.

Non, ma chère Lucie, — laissez-moi vous donner encore ce doux nom de votre enfance si pure et de votre adolescence si édifiante, — non, l’amour profane ne fait point de miracles sérieux. Il est capable de toutes les hypocrisies, et, s’il est sincère, il se prête aveuglément à tous les sophismes. Pour vous obtenir, bien des hommes seraient capables de tout ; mais l’amour vrai, l’amour sacré, l’amour de l’âme n’habite point le cœur de l’incrédule, et, quand la passion charnelle est assouvie, le vieil homme reparaît. Il a des sophismes nouveaux à son service pour expliquer au profit de son parjure ceux qu’il a invoqués pour faire croire à sa conversion. Il est