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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/116

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car en ce moment nous étions seuls avec lui au salon.

« Je chante toujours pour mon père et pour mon grand-père, a-t-elle répondu, et jamais pour les autres, parce que je ne sais que de la musique sérieuse qui ennuie généralement ; mais, si vous me dites que vous aurez du plaisir à m’entendre, je chanterai. »

Avant que j’eusse répondu, le général a braqué sur moi ses gros yeux ronds et m’a dit d’un ton moitié agréable, moitié furieux, — je ne sais pas encore lire dans cette physionomie hétéroclite, — que j’étais privilégié, et que j’eusse à mériter cette gâterie.

« Ce n’est pas une gâterie, a repris Lucie. C’est tout bonnement parce qu’il est l’homme le plus sincère que je connaisse, et que, s’il me demande de chanter, ce n’est pas pour être poli et bâiller ensuite en cachette, c’est parce qu’il a envie que je chante. »

J’ai dit oui, elle s’est mise au piano, annonçant qu’elle ne chanterait qu’à demi-voix, et, se tournant vers moi, elle a ajouté :

« Ce n’est pas par avarice, c’est pour ne pas couvrir le bruit de la cascade qui empêche les promeneurs du jardin de m’entendre. »

Et, comme je l’aidais à chercher son livre de musique, elle m’a encore dit tout bas :

« Dès qu’ils rentreront, ne me demandez pas de continuer. Je chanterai tant que vous voudrez quand nous serons seuls avec mes parents. »

Elle a chanté un vieux air italien d’une ravissante simplicité, et, comme elle le disait en effet à demi-voix, et avec une douceur suave, le général s’est endormi à la dixième mesure. Elle a réprimé un sourire en me disant du regard : « Vous voyez l’effet ordinaire de ma musique ! » mais elle a bien vu que je buvais comme une rosée du ciel cette mélodie adorable, si adorablement exprimée, et