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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/168

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veux vivre avec mon temps, que Dieu n’a pas maudit. Dieu ne maudit rien, je proteste !

Ne me demandez pas autre chose, mon ami. Vous parler de ce projet de mariage qui vous paraît si funeste m’est encore plus impossible.

Pourquoi ? Je ne sais pas ! Je sens que mon âme aborde un grand mystère, et que cette première lutte avec l’esprit inconnu qui me parle ne peut souffrir de témoin étranger. Je n’oserais dire à mes parents les pensées que je porte en moi, je n’oserais même les dire à celui qui en est l’objet. Il y a là comme un abîme à franchir et comme une montagne à soulever ; c’est je ne sais quelle honte sacrée, si je puis dire ainsi, car elle ne me fait pas rougir de moi-même quand le sang monte brûlant à mes joues. Ne craignez donc pas ! Mon bon ange veille, et il me rassure. Ma conscience n’a pas de détours, elle est donc libre de terreurs. Je sens Dieu en moi comme je ne l’ai jamais senti, et, sans savoir comment il résoudra le problème de ma situation, je suis pénétrée d’une confiance sans bornes dans l’issue qu’il me réserve.

Je ne veux pas faire de controverse avec Émile. Je ne pourrais pas non plus. Je ne me sens de forces réelles que sur des articles de foi où je le sais d’accord avec moi et beaucoup plus fort que moi-même,… aussi fort que vous, mon ami, et ce n’est pas peu dire !

Tranquillisez-vous sur mon compte, et ne pleurez pas notre amitié brisée. Pourquoi le serait-elle, si vous redevenez l’ami que j’ai toujours connu ? Émile lui-même renouera cette amitié quand vous m’autoriserez à la lui dire, et quand vous aurez reconnu en lui un guide sûr, éclairé, légitime enfin pour mon âme. Voyez-le donc, parlez-lui de moi, de lui, faites-vous apprécier, obtenez sa confiance : je consens à ne me prononcer dans un sens ou dans l’autre qu’après cette épreuve ; mais soyez