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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/176

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au bonheur des autres sans me permettre de penser au mien propre. Ma nature calme ou bien gouvernée ne réclamait pas. Je ne pouvais séparer dans ma pensée mes propres félicités de celles des êtres que je voulais rendre heureux.

« On vous a dit que je voulais me faire religieuse : j’y ai pensé longtemps et sérieusement ; mais ce n’était pas par un instinct d’isolement farouche. Je voulais me consacrer à l’éducation des enfants et des jeunes filles.

« Puisque je suis riche, me disais-je, j’ai de plus grands devoirs à remplir que celui de me marier. Je dois et je veux adopter une famille aussi étendue que mes ressources, mon temps et mes forces me le permettront.

« Je ne l’ai pourtant pas fait. Plus tard, et quand nous passerons aux détails, je vous raconterai ce qui m’a rendue hésitante. Je vous dirai seulement aujourd’hui ce qui m’a fait renoncer complétement à mes projets.

« Un jour, ma servante Misie me demanda en pleurant de prendre sa petite dans la maison. Sa sœur, à qui elle l’avait confiée, venait de mourir, et elle n’avait au village personne qui lui inspirât confiance. Mon grand-père aime les enfants, mais à la condition qu’ils ne seront ni bruyants ni dévastateurs. Il pense avec raison que leurs parents, engagés dans les devoirs de la domesticité, ne peuvent guère les surveiller, et que ces petits bandits, livrés à eux-mêmes, arrachent et brisent les fleurs, dénichent les oiseaux et font mille autres sottises nuisibles à eux-mêmes autant qu’au repos des vieillards. J’obtins une exception en faveur de Lucette ; elle était ma filleule, je me chargeais de la surveiller aux heures où sa mère ne le pourrait pas. J’allai donc chercher l’enfant ; elle était malpropre. Quand je l’eus baignée, je vis qu’elle était d’une délicatesse extrême et qu’elle avait besoin de grands soins. Elle n’était pas jolie ; craintive,