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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/183

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l’interroger sur ses intentions à notre égard, on oublie trop souvent peut-être, dans la pratique religieuse, qu’il nous a donné le libre arbitre pour nous forcer à nous en servir ; enfin j’ai reconnu que mon affection pour vous avait grandi et éclairé ma foi. Dès lors j’ai résolu de ne plus combattre et d’attendre sans terreur ce que Dieu vous inspirerait à vous-même pour la solution de notre avenir. »

J’étais transporté de joie, et pourtant Lucie restait triste. Ses yeux attachés sur les miens se remplissaient à chaque instant de larmes.

« Dites tout, Lucie, m’écriai-je ; dites tout, je vous en conjure. Ne me laissez pas ainsi ivre de bonheur et de reconnaissance avec cette épée de Damoclès sur la tête. Il y aurait là quelque chose d’horriblement cruel qui ne serait pas vous !

— Émile, reprit-elle, je vous ai dit que je vous aimais plus que tout autre, et que j’avais foi en vous. Ne me demander que ce dont je suis sûre : le reste est doute, crainte, espoir, appréhension ! mon affection pour vous, c’est le cri de ma liberté. Mon aveu en est l’acte. Le reste ne dépend pas de moi, je vous le jure, et ce n’est pas aujourd’hui ni demain que disparaîtront les obstacles que je redoute. Je vous ai toujours dit qu’il y fallait un peu de temps, et nous ne pouvons ni ne devons devancer la marche du temps. »

J’ai cru devoir respecter le secret de sa pensée. De quel droit me révolterais-je ? Elle me cache quelque chose ; mais, en voyant à quelles braves et loyales surprises ont abouti jusqu’ici ses restrictions et les petits mystères de sa conduite, ne serais-je pas ingrat et fou de ne pas savoir attendre ? C’est une épreuve qu’elle m’impose… Ah ! je ne veux pas être au-dessous de ce qu’elle attend de moi !