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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/265

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pas. M. Lemontier lui fit demander par Misie la permission d’aller le saluer. Le général fit répondre qu’après le souper de M. de Turdy il attendrait le nouvel hôte au salon. M. Lemontier ayant complété toutes les notions que devaient lui fournir Lucie et son grand-père, descendit au salon et y trouva le général flanqué du capucin. Ce n’était pas le moment de causer d’affaires : l’affectation du général à ne pas congédier ce vieillard silencieux et fatigué prouva de reste à M. Lemontier qu’on reculait pour ce jour-là devant les explications.

Mais quel était ce nouveau personnage inconnu à Lucie et qui se trouvait subitement lié avec le général ? Un passant, un pèlerin recevant l’hospitalité d’un jour, ou un espion de Moreali ? M. Lemontier, qui l’examinait tout en causant de choses d’un intérêt général avec M. La Quintinie, comprit vite que ce n’était ni un passant ni un intrigant, mais une sorte de missionnaire de bonne foi. L’homme était très-vieux ou très-usé par les austérités. Sa figure commune et terne avait tout à coup de grands éclairs sans cause apparente. L’œil éteint tenait assoupies des flammes qui s’échappaient comme des décharges de lumière électrique. Le front très-élevé, serré aux tempes, contrastait dans sa nudité avec le front court et large du général.

Il était vêtu de bure et souillé de poussière, sa peau et ses vêtements différaient peu de couleur. Il exhalait une odeur de terre et d’humidité. Il parlait mal le français et paraissait le comprendre plus mal encore. En revanche, il ne comprenait pas du tout l’italien, que le général s’efforçait de lui parler. Assis près de la fenêtre ouverte, il avait peut-être froid, mais il ne s’en apercevait pas ou ne s’en souciait pas. Il appartenait à ce tempérament insensible ou invulnérable qui est propre aux exaltés, aux martyrs et aux fous.